Giuliana s’était réveillée, tremblant de tout son corps, couverte d’une sueur froide qui se mêlait aux larmes sur ses joues. Quand elle avait réussi à s’extirper de son lit, elle avait tout juste eu le temps de courir à la salle de bain pour que son dîner n’atterisse pas sur le parquet, et Giu’, elle, avait fini sous la douche. Elle s’était lavée avant d’aller au lit, mais elle se sentait sale. Son cauchemar encore frais dans sa tête, elle pouvait presque sentir ses mains sur elle, brutales, s'autorisant à visiter son corps sans qu'elle ne lui en ait donné la permission, resserrant leur prise autour de son cou... et puis le sang sur ses mains. Sous ses ongles. Il n’était pas là, évidemment, son imagination s’alliait à ses souvenirs pour lui jouer des tours et pourtant, la voilà qui frottait à s’en irriter la peau, l’odeur du savon parfumé pas assez entêtante pour couvrir celle du sang, du feu, marquées au fer rouge dans sa mémoire. Oh, et respirer aussi c’était compliqué. Angoisse. Panique. Terreur. Culpabilité.

Combien de fois elle s’était réveillée au milieu de la nuit, comme ça ? Elle ne les comptait plus. Depuis cette nuit maudite, celle qui avait tout changé, il n’y avait pas une nuit, pas une journée où ce qu’ils avaient fait ne revenait pas la hanter. Où la culpabilité ne venait pas la ronger. Ils avaient tué quelqu’un. Quelqu’un était mort. Par sa faute. Il était un monstre, certes. Un homme mauvais, violent. Elle s’était approchée trop près de la vérité. C’était elle ou lui. Ou Javadd. Il l’avait sauvée et à cause d’elle, il avait tué un homme. C’était de sa faute. Tout était de sa faute. Il devait penser pareil, vraiment, c’est à peine si elle l’avait revu depuis. Il l’évitait. Il avait raison. Ou peut-être que c'était elle qui l'évitait, inconsciemment, se privant d'une des personnes qu'elle aimait le plus au monde pour se punir.

Il lui manquait. Terriblement. Elle ne voulait qu'une chose : l'appeler, qu'il l'enveloppe dans ses bras protecteurs, qu'il la serre contre lui jusqu'à ce que les monstres disparaissent. Sauf que dans cette histoire, le monstre, c'était elle...

Quand enfin sa crise de panique était passée, la peau de ses bras rougie et égratignée par endroit à cause de ce lavage intensif, elle s’était enroulée dans une couverture pour se réfugier sur son canapé. Elle avait toujours la nausée, mais déjà plus rien dans l’estomac, et pas l’appétit nécessaire pour le remplir à nouveau, aussi gourmande soit-elle. Elle était épuisée, aussi, mais savait qu’elle serait bien incapable de dormir. Elle avait passé bien peu de nuits correctes depuis cette nuit-là et la plupart d’entre elles, elle les avait passées en Sicile où elle s’était réfugiée, profitant des vacances d’été pour rendre visite à ses grands-parents avant de devoir reprendre le chemin de sa salle de classe. Ca lui avait fait du bien, comme une parenthèse enchantée au milieu de ce cauchemar, mais ça n’avait rendu le retour à la réalité que plus brutal encore. Les nerfs à fleur de peau, cette enseignante plutôt patiente et qui adorait son métier s’était découverte moins patiente avec ses élèves, pauvres gosses qui n’avaient rien à voir dans tout ça. Elle perdait les pédales, doucement. Le karma qui s’occupait d’elle, probablement. C’est comme ça que ça marche, non ? On récolte ce que l’on sème.

Son téléphone à la main, elle parcouru la liste de ses contacts, s’arrêtant sur le nom de Javadd, hésitant un moment, avant de reposer son portable avec un soupir. Elle devait arrêter de l’appeler à l’aide, elle en avait déjà bien assez abusé. Depuis qu’il l’avait rencontrée, gamine perdue dans un pays qui n’était pas le sien, entourée de gens qui parlaient une langue jusqu’alors inconnue, il avait toujours été là pour elle. Toujours protégée, toujours volé à son secours, écouté ses états d’âme. En échange, elle l’avait toujours empêché de faire de trop grosses bêtises, lui, le plus torturé de leur duo… Aussi différents soient-ils, ils étaient devenus inséparables, fusionnels. Jusqu’au jour où il avait commis l’irréparable, pour elle. Elle en avait assez fait. Alors le coeur serré, au lieu de l’appeler, elle avait attrapé une boite, et attrapé une boite en carton, contenant des centaines de petites pièces et, ses lunettes sur le nez, elle avait passé le reste de la nuit à tenter de reconstituer l’image qui figurait sur la boite. La fatigue avait fini par la rattraper alors que le matin approchait, et elle s’était endormie sur son canapé, roulée en boule dans sa couverture, trop épuisée cette fois pour que les cauchemars ne viennent perturber son sommeil.