Tu es en train de jouer a la poupée, ignorant les cris habituels de tes parents. Encore une dispute, mais tu as l'habitude maintenant, du haut de tes cinq ans tu n'es plus vraiment intrigué par ce genre de chose. On t'a expliqué que ce n'était pas normal, mais tu es bien trop jeune pour comprendre. Ta mère finit par débarquer dans ta chambre en colère, son ventre imposant t'indiquant qu'elle va encore donner naissance à un enfant, enfin deux, papa t'a dis qu'il tu aurais deux frères ou sœurs. Elle te demande d'aller te laver les mains, tu ranges ta poupée et t'exécute sans broncher, tu sais que maman peut avoir la main légère quand elle est comme ça. Papa vient t'aider, il est gentil papa, il joue souvent avec toi, te parle, il ne crie jamais. Tu préfères ton papa, lui, il te raconte une histoire le soir, quand il est là, il t'apporte des petits cadeaux, il te fait des câlins. Maman, elle crie tout le temps, elle dit des mots vilains, c'est papa qui le dit. " Ne dis pas ce gros mot devant la petite." C'est ce qu'il dit toujours. Ce soir-là, papa semble fatiguer. Il te regarde longuement. " Tu sais que je t'aime mon petit canard ?" Tu hoches la tête. " Moi aussi, je t'aime papa." Tu ne réalisais pas encore que ce regard était le regard d'un homme qui allait commettre l'irréparable, que cette conversation, ce je t'aime serait le dernier que tu puisses lui dire.

Quelques jours plus tard, maman donne naissance a un petit frère et une petite sœur. Tu es contente et papa, tu le vois ému, mais tu comprends que quelque chose ne va pas. Quelques heures après la naissance de ses enfants, ton papa se fait menotter par les forces de l'ordre. Tu pleures et appelles ton papa. " Tout va bien, mon canard, papa va revenir." Tu hoches la tête, tu le crois papa, il n'a jamais menti. Tu es appelé pour venir voir ton frère et ta sœur. Tu les regardes, si petit et si fragiles. Un petit sourire se dessine sur ta bouche. "Ils sont beaux." Tu murmures doucement. Ta mère soupire doucement. " Ouais et ils vont me coûter cher." Le ton de sa voix sec et glaciale te déstabilise quelques instants. Ta tante vient te chercher pour te garder. Tu ne l'aimes pas, elle pique, elle ne sent pas bon et elle finie toujours par s'endormir dans son canapé, après avoir vidé la bouteille d'un truc qui ne sent pas très bon. Si tu veux manger, il faut que tu te débrouilles, parce que quand elle dort comme ça, tu ne peux pas la réveiller.

Papa est absent depuis trop longtemps, tu fêtes déjà ton deuxième anniversaire sans lui. Tu le réclames à chaque fois, mais maman a fini par te répondre en riant. " Ce bon a rien, il n'est pas prêt de revoir la lumière du jour." Tu ne comprends pas, tu n'as que sept ans. Tu ignores encore que papa a participé à un braquage, que ça a mal tourné et qu'il a dû tirer sur une personne. Tu ignores que ton papa à été condamné a beaucoup de prison, tu es encore trop jeune pour réaliser que trente ans, c'est long. Ton anniversaire n'a plus rien d'extraordinaire, papa, il te faisait un gâteau, il savait bien faire à manger papa. Maman, elle ne fait rien, elle te le souhaite à peine. Tu n'as pas tes cousins et cousines qui viennent, tes copines d'école et ni même de cadeaux. Tout ça s'est fini depuis que papa n'est plus là.

"Ton père, c'est un assassin !" On te pousse dans la flaque d'eau et les rires autour de toi inondent ton espace. Tu réprimes tes larmes, tu refuses qu'ils te voient pleurer. Ton cartable a été malmené, tes affaires sont éparpillées au sol et tu attends qu'ils se calment. La voix de la directrice les fait fuir et tu sais que tu peux enfin ramasser tes affaires. "Ho mon dieu Olivia, tu vas bien?" Tu relèves le visage et un léger sourire se dessine sur tes lèvres. " Oui madame, ce n'est que de l'eau." Tu réponds doucement en terminant de rassembler tes affaires alors que tu es trempée jusqu'au os. " Tu es sure ?" Tu vois son regard inquiet et hoches la tête. " Il faut que je rentre ma mère m'attend." Tu ne lui laisses pas le temps d'ajouter quoi que ce soit que tu as déjà tourné les talons. Tu n'as aucune envie de rentrer, cela fait déjà plus d'un an que ta mère a délaisser ton frère et ta sœur, c'est toi qui dois tout faire. Tu n'as que douze ans, tu dois cependant t'occuper de toi, de deux autres enfants, d'une mère qui se drogue de plus en plus et de la maison. Tu passes le seuil de la porte accueilli par les jumeaux qui viennent de rentrer de l'école. " Liv!" Ta sœur saute dans tes bras et tu la serres contre toi. Tu retrouves ta mère dans le salon une aiguille encore dans le bras. Tu la retires rapidement en espérant que tes cadets ne l'aient pas encore vu. Tu vas faire tes devoirs et tu demandes aux jumeaux d'en faire autant. Ils n'aiment pas ça les devoirs, mais tu tentes de les aider comme tu le peux. Tu prépares le dîner pendant qu'ils se lavent, puis tu en fais autant après manger. Quand tout le monde va au lit, ta mère est encore sur le canapé, comme chaque soir.

Ronald, c'est le nouveau copain de ta mère, tu ne l'aimes pas ce type. Il est certes riche, mais tu sens bien son regard hautain quand ils vous regardent toi, ta sœur et ton frère. Il n'accepte pas votre présence, toi tu as l'habitude de ce genre de regard envers toi, mais tu fais en sorte que tes cadets ne s'en rendent pas compte. Tu as seize ans, l'âge ou tu devrais sortir t'amuser, au lieu de cela, tu dois t'occuper des jumeaux et de la maison, quand ta mère part en vadrouille avec son petit ami, cela peut durer des jours parfois sans avoir de nouvelles. Parfois, même si tu sais que ton père a commis une énorme erreur, tu aimerais qu'il soit là, lui, il ne vous aurait jamais abandonné de son plein gré. Ta mère, elle t'interdit d'aller le voir, elle dit que ce n'est pas bon pour toi, mais que sait-elle réellement de ce qui est bon pour toi finalement ?

"Chère Olivia, tu as aujourd'hui vingt et un an, l'année de ta majorité. Je ne serais pas présente en ce jour et je ne le serais d'ailleurs plus jamais. Ronald m'a montré que ma vie n'était pas celle que je méritais, toi et les jumeaux, vous n'avez fait qu'entraver mon avenir, mes désirs et mes projets. Nous allons nous marier ce week-end, vous ne serez évidemment pas présent. Je ne reviendrais pas, je sais que tu prendras grand soin de ton frère et de ta sœur." Cette lettre, tu viens de la trouver sur la table de la cuisine, alors que tu venais de terminer ton service a la plonge au restaurant à quelques rues d'ici. Tu as abandonné tes études pour aider ta mère et surtout t'occuper de ton frère et ta sœur. Les rires de ton frère et ta sœur te parviennent jusqu'aux oreilles, a ton regard, ils se stoppent rapidement. " Liv, il y a un souci." Ton frère pose sa main sur ton épaule. " Maman est partie, elle ne reviendra pas." Tu leur tant la lettre. Ta sœur pleurs rapidement, ton frère lui, n'a pas vraiment de réaction, mais tu perçois cette étincelle de colère dans le fond de ses yeux.

Tu n'es pas habituée à ce genre d'endroit, tu attends devant cette vitre muni d'un téléphone. Son visage apparaît, bien plus marquer qu'à l'époque, tu ne peux que voir l'étonnement sur son visage. Tu te saisis avec hésitation du combiner. " Liv c'est bien toi?" Tu hoches la tête, les mots restant accrochés dans le fond de ta gorge. " Je pensais que tu ne viendrais jamais me voir." Tu secoues la tête luttant contre tes larmes. " Maman refusait, elle disait que ce n'était pas bon pour moi." Il baisse la tête. " Elle n'a peut-être pas tort, ce n'est pas un endroit convenable pour toi." Tu lèves les yeux au ciel. " Si tu savais papa." Il fronce les sourcils." Raconte moi." Tu lui explique alors tout ce qui a pu se passer depuis son départ, tu vois plusieurs émotions traverser son regard, la déception, la culpabilité, la colère et le chagrin. Il finit alors par soupirer et te répondre. " J'aurais tellement aimé que tu puisses avoir une vie meilleure." Tu encres ton regard dans le sien et ses paroles te brisent le cœur. " Cependant, je ne veux plus jamais que tu reviennes ici." Tu n'as pas le temps de demander pourquoi, qu'il raccroche et quitte l'endroit. Ce soir-là, sous la douche, tu as laissé tes larmes te submerger.

Pour subvenir aux besoins de ton frère et ta sœur, tu as dû cumulé pas mal de boulots. Tu en avais parfois trois en même temps. Tu es passée de femme de ménage, employé d'usine, serveuse, livreuse de journaux, plongeuse, etc... Cependant, à vingt-cinq ans, tu tombes sur un client dans le restaurant ou tu travaillais. En discutant, tu ignores pourquoi il finit par te proposer un emploi. Tu as d'abord cru à une mauvaise blague, puis tu as finalement accepté de passer un entretien. Cet homme a changé ta vie du tout au tout, cet emploi vous a permis à toi et ta famille de vivre plus décemment. Tu as pu avec le temps acheter ta propre maison dans un quartier bien mieux que celui que vous avez toujours connu. Tu peux payer les études à ton frère et ta sœur sans te demander comment faire. Cela fait cinq ans que tu as un meilleur train de vie. Tu espères grâce à cet emploi assurer un meilleur avenir à tes cadets.