Assise sur son divan, Joe sent que le travail commence. Elle regarde son mari, Fabio qui s'est endormi devant la télé, sur le fauteuil, ayant laissé toute la place à sa femme, enceinte jusqu'aux yeux. Il est épuisé, il passe son temps à travailler plus pour essayer de subvenir aux besoins de la famille, et à pouvoir voir venir avec leur premier enfant qui arrive. Mais pour lui, c'est difficile. Il parle très mal l'anglais, a du mal à se faire au climat de l'Australie, et a le mal de son pays qu'il a quitté uniquement pour sa femme, rencontrée lors d'un voyage à Londres pour faire grandir son entreprise, tandis qu'elle avait un séminaire d'entreprise au même endroit. Entre eux, ça a été un véritable coup de foudre. Si bien qu'il était devenu inenvisageable de passer du temps l'un sans l'autre. De laisser la vie les séparer. Le choix est vite fait. Il est dans le commerce international, elle est enseignante dans une école pour enfants à difficultés. Et elle ne souhaitait pas laisser "ses" enfants sans elle. Bien qu'elle n'ignorait pas que personne n'est irremplaçable. Alors, c'est lui qui a fait cette concession. Après tout, il avait toujours rêvé d'aller vivre en Australie. Alors, c'était l'excuse parfaite. Et de toute façon, il aimait trop cette femme pour la laisser partir. Pour lui, c'était une certitude : le coup de foudre et l'amour au premier regard, c'était quelque chose de réel.
Joe sait que pour Fabio, ce n'est pas évident. Elle le voit chaque jour se compliquer la vie, s'énerver seul, se tirer les cheveux, puis revenir vers elle tout sourire, comme pour lui faire croire qu'il maîtrisait la situation. Elle s'en veut un peu de le voir ainsi, et il n'est pas rare qu'elle se dise que tout ça n'est que de sa faute, de la faute de son obstination à ne pas laisser les enfants. Mais quand ils en parlent, et qu'elle essaie de trouver un compromis plus avantageux pour lui, c'est Fabio qui s'obstine. Et désormais que leur premier enfant, fruit de leur union s'apprête à naître, elle sait qu'elle n'a plus le temps de faire changer les choses.
D'un léger mouvement, elle essaie de réveiller son mari, qui met quelques minutes à ouvrir les yeux. Des minutes moindres, et pourtant si longues. Elle a l'impression que l'enfant pointe le bout de son nez, déjà, tant elle se sent avoir attendu après le réveil de son époux. Elle le regarde droit dans les yeux, et d'un accent peu assuré en italien, elle l'averti.« C'est le moment. »

A l'Hôpital, le travail est long. Elle sent chacun de ses os prêt à se briser à la naissance du bébé. Joe et Fabio ont refusé de savoir le sexe de l'enfant. C'est la surprise, comme ils disent. Mais dans le fond, tout le monde se doutait qu'ils avaient envie de savoir. Histoire de pouvoir choisir les habits un peu niais où il y aurait par exemple écrit "le fils à sa maman" ou "la fille à son papa".
Ce n'est qu'après ce qui lui semble une éternité que les visages des médecins qui l'entourent se transforment en sourire immense. Le bébé est là. Un garçon. Les larmes de Fabio, qui lui a tenu la main tout l'accouchement lui font réaliser que son mari est là depuis le début. Et aussi qu'ils n'ont pas encore trouvé de prénom. Elle regarde son époux, exténuée. Peu importe le prénom, elle lui laissera le choisir. Et elle ne s'attendait pas à une réponse si rapide lorsqu'il prononça ce qui sera le prénom de leur enfant.« Alessio. »

Le jeune Alessio a grandi pendant ses quatre premières années seul, dans une famille avec des parents aimants. Ils lui ont appris la partage dans la vie. L'amour, aussi. Ils n'avaient pas besoin de parler. Il a toujours suffit à Alessio de les regarder pour comprendre. L'amour, ça peut faire mal. Mais c'est quelque chose de puissant. Et grâce à l'amour qu'ils se portaient, et qu'ils portaient à leur fils, il a pu grandir sereinement, et se développer correctement. Enfant, il s'est vite présenté comme très extraverti, ouvert aux gens. Parfois un peu sans filtres, aussi. Mais l'enfant était toujours gentil et attentif.

A ses presque cinq ans, le ventre de sa maman, devenu très gros, a laissé sortir une petite fille. Sa petite soeur. Sa naissance a changé le comportement du garçon du tout au tout. Il est devenu moins ouvert aux autres, très possessif. Elle était SA soeur, et c'était à lui de la protéger, coute que coute. Même ses parents avaient beaucoup de mal à s'approcher du bébé sans que le bambin ne leur courre après pour s'en occuper à leur place. Heureusement, en grandissant, les choses ont changé.
Mais le comportement d'Alessio aussi a changé. Il est devenu plus timide, moins ouvert aux autres. Et il changeait entre l'école et la maison, où il était beaucoup plus à l'aise et lui-même. Les autres enfants n'étaient pas ses ennemis, mais définitivement pas ses amis. Ou alors, il manquait gravement de confiance en lui pour pouvoir leur faire confiance.

Pourtant, Alessio s'est vite montré comme un garçon intelligent dans le sens où il apprenait vite. Il aimait apprendre, et souvent, cette facilité lui a joué des tours. Les autres enfants l'ont pris en grippe très vite. Il était le chouchou des maîtresses, et les autres le voyaient comme ce qu'ils appelaient un "fayot". Alors, il s'est encore plus enfermé sur lui-même.
Heureusement, il n'était pas totalement seul, il avait une Amelya, qu'il connaissait grâce au travail de son père. Elle était la fille d'un de ses proches collaborateurs et partenaire commercial, ce qui a permis aux deux enfants de se rapprocher, de se voir en dehors des cours. Et donc de devenir amis.
Et puis, sa soeur qui n'avait que quatre années d'études de moins que lui est arrivée dans son collège/lycée, ce qui lui a vite fait une alliée de plus.

Puis est arrivé l'heure de la fin du lycée. Le déchirement. Il a très vite compris qu'avec Amelya, pour lui, ça n'était pas simplement de l'amitié. Elle était en couple avec un de leurs "amis" qui pour Alessio ressemblait plus à une connaissance qu'autre chose, un indésirable, presque. Lui était amoureux de sa meilleure amie. Et le temps passant n'aidait pas vraiment.

Alessio a fait une fac de lettres anglophone et italophone, des lettres étrangères et modernes, comme ça s'appelait. Il avait envie de faire quelque chose en lien avec ses racines italiennes.
Coté coeur, c'est un peu chaotique. Il a eut deux relations amoureuses, mais uniquement pour combler le vide amoureux laissé par Amelya, qu'il aime bien malgré lui. D'ailleurs, il est, encore aujourd'hui, en contact avec elle, mais n'ose pas lui réveler ses sentiments. Qui sait ? Peut-être qu'il réussira à dévoiler ses sentiments ? Et peut-être qu'alors, ils seront réciproques ?