Some type of Love [Lewiara]

La fête foraine. Ses cris, ses lumières, l’odeur de sucre qui colle aux dents, la poussière qui colore le bas des pantalons. Un des rares endroits de la ville où elle pouvait souffler étant gamine, un endroit où elle n’était qu’une enfant comme les autres, où elle pouvait courir, s’extasier devant les manèges et rire aux éclats en voyant son père tenter sans le moindre succès de gagner une peluche en son nom. Des sorties familiales, elle n’en fait plus vraiment désormais, fuyant autant que possible la présence de ces figures qui antan étaient belles et rassurantes. Aujourd’hui, elle les dépeint plus comme des geôliers qu’autre chose et toute excuse est bonne pour s’éclipser de leurs regards étouffants.

Téléphone sous silencieux, elle ignore sciemment les messages qui scintillent sur l’écran. Tantôt agressifs, tantôt inquiets, les mots clignotent de manière insistante, exigeant une réponse qu’elle ne sait comment formuler. Peut-on vraiment envoyer « je vis ma vie, fais de même » à sa mère? Elle sait où elle est et surtout avec qui, donc elle ne s’étonne guère de la voir crier à travers le clavier, continuant cette éternelle chanson du grand méchant loup et du pauvre Chaperon Rouge qui a pêché d’imprudence. C’est certain que se retrouver dans un lieu hautement fréquenté est une claire invitation aux horreurs les plus innommables. Bientôt ils vont envoyer la police à ses trousses pour avoir osé accepter de passer du temps avec celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom. Son petit-ami. Bravo la famille surprotectrice, elle a l’impression de vivre une idylle avec un criminel de haut vol.

Les cris festifs commencent à se faire entendre et elle pianote une dernière fois sur son clavier, fermement décidée à l’enterrer au fond du sac et oublier son existence. Chiara est une grande fille malgré ce qu’ils peuvent dire et elle ne fait strictement rien de mal. A moins qu’aimer soit devenu un crime contre l’humanité. Si c’est le cas, pas sûre qu’elle veuille rester humaine. Je t’appelle quand je rentre. Un signe qu’elle est en vie mais un signe aussi du manque d’impact que ses mots ont sur la jeune fille. On oublie aisément l’impact du premier amour et tous les discours du monde ne freineront pas son envie de voir Lewis.

Sa simple vue chasse les nuages, ses lèvres s’étirent en un sourire dès qu’elle le devine parmi les passants. On (et par on, comprenez principalement les séries, films et bouquins qui ont croisé sa route) dit souvent que l’amour est une chose qui se construit, un sentiment qui a besoin de temps pour vraiment exister. Selon un paquet de théories, elle n’est pas amoureuse, pas au bout de deux mois avec quelqu’un qu’elle n’avait jamais vu auparavant. Sans compter le fait que leur situation est loin d’être simple. Elle peut être excitée par l’interdit qu’il représente, ou attirée par l’alchimie qui se dégage de leurs échanges, mais l’amour n’est pas encore dans l’équation qu’ils disent. La jeune fille leur rit au nez, son coeur gardien d’un sentiment que personne ne semble comprendre. Personne à part lui. Mais il est trop tôt pour naviguer ces eaux-là, alors elle attend, sourire de renard, secret bien protégé. Un jour peut-être. Elle l’espère en tout cas.

En un baiser, les soucis s’envolent, le téléphone relégué au rôle de simple poids au fond de son vieux sac. « Bonjour à toi aussi. » Plus pour la pointe d’humour qu’autre chose. Les mots n’ont jamais été réellement nécessaires entre eux et elle est plus que ravie de recevoir ce genre de salutation. Doigts qui s’enlacent instinctivement, billet galamment offert par son accompagnateur. « Ne rêve pas, tu ne vas pas m’inviter à chaque fois! Le barba-papa est pour moi. Minimum. » Clin d’oeil mutin, elle ne prend pas de non pour réponse. Il n’y a aucune raison pour que son portefeuille connaisse le même sort que son portable. Pile électrique qu’elle est, elle sautille presque sur place, impatiente de parcourir la fête foraine comme quand elle avait six ans. La gamine qu’elle n’a pas encore totalement cessé d’être brille de mille éclats et son regard parcoure sérieusement le plan tenu par Lewis. « Je suis bien partante pour un peu d’action. Pourquoi pas les auto-tamponneuses? Comme ça tu pourras constater à quel point je conduis bien. » Peu de surprise dans sa réponse. Et puisqu’on lui demande d’ouvrir le bal, elle préfère le faire avec fracas. Son bras s’enroule au coude de Lewis, ses pas entamant une sorte de danse pendant qu’ils se fraient gentiment un chemin. Elle a le sourire étincelant Chiara, celui qui traduit le simple bonheur de l’instant présent. Un sourire qu’elle partage avec le monde mais surtout avec Lewis. Etre dehors, avec lui, comme un couple tout ce qu’il y a de plus normal, loin des préoccupations du quotidien, elle ne peut imaginer mieux.

Son regard se pose cependant sur un stand. Un stand de tir. Les souvenirs viennent la saluer, son sourire prend une teinte nostalgique. Parfois, elle oublie qu’elle a passé de bons moments avec ses parents avant…tout ça. Ses orbes croisent la route d’un petit chiot en peluche, ridiculement adorable du haut de son étagère. « Il ne te rappelle pas quelqu’un ? » Regard amusé, le petit haussement de sourcils ne laisse aucun doute à qui elle fait allusion. « Rappelle moi de venir le sauver après les auto-tamponneuses, je ne peux pas laisser un Lewis "bis" abandonné à son sort. »

Codage par Libella sur Graphiorum