- Tu entends Nina ?

Je tourne la tête vers Lisa, concentrée sur ce qu’elle m’avait dit de faire : écouter le bruit du ruisseau, invisible pour le moment. J’ai plissé les yeux, délicatement, en avançant, le pas léger, à travers la forêt. Je sens qu’elle agrippe ma main, par peur : en même temps, elle n’a que 5 ans, alors comment lui en vouloir ? J’ai baissé mes yeux vers la petite fille, dont le regard ne tarda pas à croiser le mien. Je lui ai souris, doucement, en poussant le feuillage de mon autre main. Et enfin, après 20 minutes de marche, nous avions face à nous le ruisseau tant attendu.

- Il est là, il est là ! Nina, il est là !

Elle lâcha ma main, et quand j’ai ouvert la bouche pour lui crier de faire attention, il était trop tard : elle trébucha sur la racine de l’arbre, avant de s’écraser sur le rocher juste derrière. Je n’ai pas bougé, je suis restée là, abasourdie, sans vraiment comprendre ce qui se passait. J’ai avancé, en enjambant la racine coupable, et j’ai penché la tête sur le côté.

- Lisa ? Lisa ?

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- Tu es prête gamine ?

Je secoue la tête, et j’empoigne ma valise pour la descendre dans l’entrée où m’attends mon père, ma mère :  je leur souris, délicatement, et j’enfile mes converses, rapidement. Je sais qu’on est déjà en retard pour partir direction l’aéroport : mais c’était volontaire. Je déteste les au revoir, encore plus les adieux, et à en voir le visage de ma mère, j’ai bien l’impression de partir à l’abattoir.

- Je vais en prendre soin de notre gamine, arrête de pleurer chérie.

Premier départ du cocon familial : forcément que ça lui fait quelque chose. Mais bon, j’étais obligée de me ranger du côté de mon père : l’Australie, c’était un rêve. Et l’occasion de finir mes études dans un pays magnifique. Alors… Let’s go ! Je l’attrape par les épaules, et je la serre contre moi.

- Je t’envoie des messages, tu le sais non ?

Elle recule sa tête pour me sourire, et prend ma tête entre ses mains pour la baisser et poser sur mon front un de ses doux baisers qui rassure : elle ne le dira pas, mais je sais qu’elle m’aime. J’attrape ma veste jaune poussin, et je passe la porte, pour me diriger vers la voiture : en partant, je ne la regarde pas. Je me contente de regarder par la fenêtre pour ne pas croiser son regard. Ah les parents …

- On est partis.

Je croise le regard de mon père dans le rétroviseur, et je lui souris : il le sait aussi, que je l’aime. Pas vraiment besoin de lui dire.

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Le vent dans les cheveux, cette impression de liberté complète. Comme si rien ni personne ne pouvait changer les choses, mes choses. J’aimais galoper, sauter, marcher. J’aimais Jamezon comme si c’était un membre de ma famille. Ça faisait simplement 10 mois que j’étais ici, dans ce ranch, à travailler pour cet homme, pour ce cheval, et pourtant : j’avais cette impression de toujours avoir vécu ici.

L’Australie, c’était ça. Cette puissante envie de vivre, de profiter, d’aimer ces animaux. Et pourtant, ce soir-là, il n’y avait pas que ces animaux que j’aimais. Je profitais de ma dernière soirée ici : plus vraiment d’argent pour continuer à rester ici. Papa ne gagnait pas autant que ce qu’il aurait voulu, et voilà maintenant 15 jours que le compte à rebours était lancé pour notre retour en France. Au début, je n’ai pas vraiment senti ses regards, son intérêt pour moi : il n’y avait que le vent dans mes cheveux, et ce cheval.

Pourtant, il ne m’a pas fallut plus de dix minutes pour ouvrir les yeux et le voir là, à cette table, à m’observer, tout en jouant au Poker avec mon père et cet homme qui m’employait. Au début, ce n’était que des regards, et puis ses regards m’ont transpercé jusqu’à m’inonder d’une chaleur inconnue. Alors j’ai fini par descendre de ma monture pour m’approcher : d’abord par curiosité, pour pouvoir à mon tour l’observer.

Lui, et sa barbe, et ses traits tirés, et ses mains puissantes, imposantes. Lui, et ses yeux noisette, perçants ; sa bouche que je devinais à travers cet amas de poils. Il m’a plu, même si je ne l’ai jamais vraiment dit : il m’a plu, et c’est pourquoi j’ai voulu le tester. J’ai commencé à jouer, à tricher, pour l’emmener dans la direction qu’il voulait – ou que je voulais ? Jusqu’où voulais-tu aller au juste … J’ai fini par m’échapper, consciente de m’enfoncer dans un terrain dangereux. Et pourtant…

Quand tu m’as rejoint, dans ce box. Quand tu es resté vers moi, quand j’ai posé ma bouche contre la tienne … Les effluves de ton être m’ont pénétré. Et quand j’ai su que plus rien ne serait pareil maintenant, je suis juste partie. Et je ne t’ai jamais revu.

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- Tu es encore en retard Nina…

J’ai souris à Adrian, avec un petit haussement d’épaules d’excuse : il avait l’habitude, et avec les heures supplémentaires qu’il me devait, il ne pouvait rien faire contre moi. C’est pourquoi je le faisais après tout : pensait-il vraiment que j’étais de ce genre de personne à venir en retard une fois sur deux ? Non. Je crois qu’il me le faisait remarquer à chaque fois parce que je lui plais. Mais pas lui. Non, pas lui.

Je suis revenue à Melbourne. Des années, et des années plus tard, me voilà de retour ici. Pourquoi ? L’Australie. Mes origines, ma fin d’études, les plus beaux mois de ma vie, ma plus belle rencontre. Enfin, non : celle qui m’a le plus retourné dirons-nous. Mais je ne suis pas venue ici pour ça, non. Je suis venue ici car on m’a proposé un poste. Enfin, papa a fait jouer ses relations et … Here I am.

Aujourd’hui, je suis Palefrenier Soigneur. Enfin, je le suis depuis plusieurs années maintenant, mais c’est mes débuts ici. Cela doit faire quinze jours que je suis installée ici. Ma mère nous a quitté il y a six mois, neuf jours et quatre heures à l’heure où je vous écris ça. Papa est en maison de repos. Et il ne reste que moi. Je ne sais pas si vous vous posiez la question, mais en tout cas, vous avez la réponse maintenant.

Moi ? Je n’ai pas changé, je reste la même.