Do, Re, Mi

Encore une soirée au bar, tu soupires, tu râles mais tu n'est plus une enfant. Si durant tes jeunes années, tu étais ici par obligation, aujourd'hui ce n'était plus le cas. Tu es ici, simplement pour passer du temps avec lui, lui ce père qui a passer sa vie à se noyer sous le travail. Lui qui a mis corps et âme dans ce bar pour t'offrir le meilleur parce qu'il ne pouvait compter que sur lui. Parce que c'était toi et lui contre le monde. Tu te souviens de ses soirées, à faire tes devoirs dans un coin, tu devais être l'une des rares personnes de ton âge à devoir faire cela et surtout à réussir à te concentrer, presque chanceuse de ne pas entendre les blagues salaces des piliers de bar. Tu ne vois pas leurs bouches, tu ne vois que leurs yeux rongés par l'alcool mais tu sais que ce qu'ils disent est mal. Tu le vois dans les yeux de ton père qui leur sourit pour faire bonne figure, parce que tu le connais, il sait quand tu mens mais tu le sais aussi. C'est ça être différent, c'est voir le monde différemment, voir les gens autrement. Ce soir, le bar semble calme alors tu t'étais installés contre le comptoir pour profiter de ce temps libre pour parler. Ici, tous les habitués te connaisse, toi et ta différence et tu souris en voyant que malgré les années certains pensent encore qu'il faut crier pour que tu les entendes. Tu regardes ton père leur expliqué une énième fois et tu as l'impression qu'il a ce regard qu'il prenait quand il voulait que tu ranges ta chambre. Ce regard qui en disant long sur sa pensée. Tu sirotes un soda avec une touillette qui n'a d'utilité que de t'occuper les doigts et les heures défilent. La nuit est tellement tombée que bientôt elle va se faire rattraper par le jour, tu ne sais pas exactement l'heure qu'il est mais tu t'en fiche. Dos à la salle, tes yeux se perdent dans la collection de bouteille et tu plonges dans tes pensées. Tu penses à ce groupe que tu ne supportes plus mais qui est bien le seul à vouloir d'une fille comme toi dans ses rangs. Tu te demandes ce que tu deviendrais si tu ne montais plus sur scène. C'était étrange de voir comme tu étais une femme discrète mais comme tu aimais le pouvoir que la scène avait sur toi. Tu aimais partager ta musique en regardant les gens sourires et tu dois bien avouer que durant les concerts, tu es presque normal. Certes, tes oreilles ne reviennent pas, mais dans les yeux qui te regardent personne ne connait ton secret, personne ne sait qui tu es et mieux encore, tout le monde s'en fiche. C'est ta mélodie qui les séduit, la manière que tu as de laisser tes doigts se balader sur le clavier. Soudain, tu reconnais ce piano que tu as toujours considéré comme étant le tien. Il te sort de tes pensées comme si il venait de t'appeler. Tu regardes autour de toi et tu constates que le bar s'est presque totalement vidé alors tu laisses ton regard se lever vers le piano. Tu mentirais en disant que tu n'avais pas été surprise, cet homme, tu le connaissais. Enfin en quelque sorte, disons plutôt que tu l'avais déjà aperçu avec Angeline. Il n'était pas très bavard, toi non plus en même temps mais contrairement à d'habitude, tu n'avais pas l'impression qu'il était froid, sans âme. Evidemment, c'était probablement parce qu'il était en train de jouer sur ce piano et que ton estime de la musique est grande. Tu le regardes en silence, tu te dis que tu ne devrais pas lui parler parce que tu dois l'avouer, il a un côté assez peu rassurant puis tu sens qu'il t'a repéré alors tu baisses les yeux un instant. Un très court instant puisque comme souvent, ta curiosité est plus forte que ta peur. Alors tu te lèves, tu l'approches timidement et tout en signant tu oses lui adresser quelques mots. « C'est très jolie ce que vous jouez »