La lettre était posée devant elle, morceau de papier d’aspect insignifiant… et pourtant porteur d’un réel pouvoir. Sa mère avait retrouvé sa jeune sœur, et sur son lit de mort, elle avait voulu tenter de les réunir. Un comportement qui ne ressemblait pas aux souvenirs qu’elle gardait de Melissa, mais qui savait réellement quelle révélation on pouvait avoir en voyant la Mort venir ? Sa cirrhose, diagnostiquée des années plus tôt, avait fini par évoluer en cancer du foie fulgurant qui n’avait pas laissé grand-chose d’elle. Refusant les traitements qu’on lui proposait, elle s’était éteinte trois semaines avant que Charlie n’arrive à l’aéroport de Melbourne. Lorsqu’elle avait vu la date sur l’enveloppe, une partie d’elle s’était douté du résultat avant qu’elle n’y soit confrontée – cependant, entendre de la bouche de cette infirmière que la patiente enregistrée au nom de Melissa Hurley était décédée avait été un choc. Qu’elle avait par la suite noyée dans une bouteille de whisky dans un bar du coin. Douce ironie. Mais elle n’avait pas la même addiction que sa génitrice, elle savait s’arrêter de lever le coude lorsqu’il le fallait. Sa drogue à elle était plus vicieuse, faite d’adrénaline et de mensonges.

De l’index, elle tapota sur la signature tremblante, puis exhala un long soupir en tournant les yeux vers l’écran de son ordinateur portable. Sur la page était inscrite l’adresse de sa présumée sœur, apparaissant sur un assemblage coloré de Google Maps comme si elle la narguait. Sa mère pouvait-elle réellement être parvenue à la retrouver ? Charlie n’avait jamais cherché à le faire, de crainte de faire entrer dans la vie de cette gamine un taux alarmant de dépression et de problèmes dont elle n’avait probablement pas besoin. Elle espérait simplement que la famille qui avait fini par recueillir l’enfant était mieux que celle qui l’avait vu naître – ce qui, soyons honnête, n’était pas très difficile. Mère solitaire et abonnée à la boisson, premier père fuyard, deuxième père tiré du même moule, franchement, on pouvait difficilement faire pire. Au départ, Charlie n’avait pas eu l’intention d’aller à la rencontre de sa cadette. Néanmoins, l’infirmière lui avait appris qu’une décharge avait été signée à sa place et que le corps de sa mère n’avait pas été enterré, mais donné à la science. Honnêtement, elle s’en fichait, cependant elle était intriguée par le choix effectué. N’avait-elle pas éprouvé de curiosité envers cette famille qu’elle ne connaissait pas ? Était-elle si heureuse qu’elle avait balayé ce passé inconnu d’un simple revers de la main, un haussement d’épaules ?

Quelque part, peut-être que Charlie était jalouse. Elle avait pensé effleurer ce bonheur elle aussi, du bout des doigts, du bout des lèvres. Elle y avait vraiment cru, à cet amour incroyable, ce futur à deux, cette chance d’échapper au destin solitaire qui se dessinait pour elle. Pour eux. Mais Alexis n’était jamais venu. L’avion était parti sans elle, direction Paris et ses moments romantiques qu’ils avaient voulu expérimenter à deux. Alors Charlie avait fait sa première arnaque ce jour-là. Après un quart d’heure à pleurer toutes les larmes de son corps dans les toilettes de l’aéroport, elle en était ressortie avec un maquillage impeccable et avait cherché sa cible. Un homme d’affaires. Seul. Plutôt séduisant, bien que dépourvu de cette étincelle de folie qui lui avait tant plu chez son unique amour. Elle l’avait séduit, profitant des trois heures de retard qu’avaient son vol pour s’arranger pour qu’il lui paie un billet à ses côtés. Ce n’avait pas été aussi difficile que ça ; la Rolex à son poignet, l’Armani qu’il portait, tout indiquait qu’il n’avait aucun problème d’argent et qu’il aimait le démontrer.

Elle s’était envolée pour Birmingham ce jour-là.
Et il avait fallu la mort de Melissa pour qu’elle revienne en Australie.

Le destin était parfois vraiment cruel… ou bien était-ce justement le coup de pouce qui lui manquait pour changer radicalement sa vision de la vie ?