Ella-mae n’était pas certaine qu’elle remettrait un jour les pieds à Melbourne. Ca n’était pas dans ses plans, pas dans l’immédiat, en tout cas. Mais depuis quand ses plans allaient comme elle l’avait décidé, de toute façon ? Avec les années, Mae était devenue le genre de personne à se laisser porter, elle avait l’habitude de l’imprévu. Elle vivait dans un imprévu quasi constant, elle n’en était plus à son coup d’essai. Si la vie l’avait ramenée jusqu’à Melbourne, c’est qu’il y avait une raison.

Bon, sur ce coup elle était partie un peu précipitamment. Elle avait sauté dans le premier avion, peu importe l’avis de ses médecins là-bas qui auraient aimé garder ses blessures de guerre à l’oeil un peu plus longtemps. Ils avaient des hôpitaux, en Australie. Et c’est justement là qu’elle se rendait ce jour-là. Une petite visite de contrôle, afin de s’assurer que tout était en ordre, que tout guérissait bien comme il fallait et que rien ne s’infectait. Ce n’était pas joli à voir, le récif n’avait pas été tendre avec elle, mais le médecin n’avait rien trouvé à signaler. Elle était libre de filer, et de vaquer à ses occupations tant qu’elle restait hors de l’eau, évidemment.

Tant qu’elle était sur place, elle avait décidé de s’attarder un peu. Elle voulait trouver le médecin qui s’était occupé de sa mère. Les informations qu’on lui avaient données étaient assez vagues, puisque personne n’avait vraiment été là pour sa mère, et elle voulait en savoir plus sur la maladie qui l’avait emportée. Savoir si elle avait souffert, si ça avait été long ou si la vie avait au moins eu assez pitié d’elle pour la libérer sans trop de douleur. Elle n’aurait toutefois pas ses réponses ce jour-là. Le médecin qui s’était occupé de sa mère n’était pas disponible. Laissant l’infirmière à qui elle s’était adressée retourner à son travail, Ella-Mae s’éloigna, avec l’intention de quitter l’hôpital. Parce qu’on y traîne rarement par plaisir. Elle ne regardait pas vraiment où elle allait, cherchant sa bouteille dans son sac alors qu’elle traversait le couloir. Si elle avait regardé devant elle, elle l’aurait vu. Aurait pu faire demi-tour avant de lui rentrer dedans. Elle retint une petite exclamation de douleur, parce que ses plaies étaient encore plutôt sensibles, et assez étendues pour que, quoi qu’elle fasse, elle les sollicite d’une manière ou d’une autre. Pardon… s’excusa-t-elle, faisant un pas en arrière pour ne pas perdre son équilibre. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle releva le nez sur le jeune homme qu’elle venait de percuter. Alexis… euh… salut… en voilà un qu’elle n’avait pas vu depuis un bail - qu’elle n’avait pas voulu revoir, vraiment. Sa rencontre avec les récifs de Bali n’était pas grand chose en comparaison de la peine qu’il lui avait causée. C’était il y a longtemps. Mais il avait été son premier amour, et ce premier chagrin l’avait profondément marquée. Elle aurait été vouée à le recroiser à un moment ou à un autre… mais elle ne s’attendait pas à le voir là.

En se rendant à l’hôpital, Ella-Mae ne s’était pas attendue à se retrouver nez-à-nez avec son ex. Son plan, c’était son rendez-vous, se renseigner sur sa mère, et mettre les voiles. L’hôpital, ce n’était l’endroit favoris de personne, rien d’étonnant à ce qu’elle n’ait pas prévu de rendre son passage dans ses couloirs aseptisés plus long qu’il n’avait besoin de l’être. Cette rencontre fut toutefois loin d’être la plus grosse surprise de sa visite. Croiser Alexis, c’était une chose. Croiser un Alexis qui ne semblait même pas la reconnaître, ça, elle ne l’avait pas vu venir. Se moquait-il d’elle ? Elle avait changé, certes, lui aussi… mais pas au point d’être méconnaissable, quand même !

Sans trop comprendre, elle le vit fouiller dans un carnet, et ce n’est que lorsqu’il eut fini de le feuilleter - sans y trouver ce qu’il voulait, vu l’expression de son visage - qu’il lui expliqua, visiblement frustré, la situation. Amnésie. Oh… dit-elle seulement d’une petite voix, alors qu’il tapait sur les touches du distributeur, duquel tombèrent un paquet de chips et une bouteille d’eau. Elle n’avait pas manqué une autre information dans ce qu’il lui avait dit. Sa femme. Ainsi, il avait finalement cédé à ses parents ? Probablement. Il avait choisi les Dawson plutôt qu’elle voilà longtemps. Ca le blessait plus qu’elle n’aurait voulu l’admettre. Elle n’avait jamais eu la moindre chance, n’est-ce pas ? Enfin, ce n’était pas important. Tout ça était loin… et il ne s’en rappelait même plus. Comme si elle n’avait jamais existé. Ca non plus, ce n’était pas très agréable. Je savais pas, désolée. Je viens seulement de revenir en ville, s’excusa-t-elle.

Que dire à un ex amnésique ? Lui balancer qu’il l’avait abandonnée au bout de deux ans de relations et de belles promesses, et lui avait brisé le coeur ? L’adolescente blessée qui sommeillait en elle approuvait cette option, mais ça ne semblait pas très raisonnable. Quitte à le blâmer, elle aurait autant aimé qu’il sache de quoi elle parlait. Il n’y avait sûrement pas de manuel sur le sujet à la librairie du coin. Nope. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’est improviser. Je suis… personne d’important. C’est sûrement pour ça que j’ai pas ma place dans ton carnet. Ce n’était pas tout à fait un mensonge. Ils ne s’étaient pas vus depuis des lustres. Elle n’était pas importante. Elle avait naïvement pensé l'être à une époque, mais elle ne l’était clairement plus. Mae. Une vieille camarade d’école. se présenta-t-elle. mentant encore à moitié. Un mensonge par omission. Ils avaient bien été camarades d’écoles. Ils avaient aussi été plus que ça.

Ces jours-ci, qui qu'elle croise, Mae semblait avoir bien du mal à savoir sur quel pied danser. Bon, il elle n'avait pas croisé grand monde, il faut dire qu'elle avait disparu de la circulation du jour au lendemain il y a des années déjà et n'avait jamais vraiment regardé en arrière. Avait-elle fuit ? Un peu, ouais. Elle lui avait apporté quoi de bon cette ville, dans le fond ? Pas grand chose. Elle n'avait pas de raison de se retourner vers le passé alors que pour la première fois son avenir tout entier lui appartenait mais peu importe combien elle essayait de le laisser derrière elle, elle avait un passé. Un passé qui décidément la liait plus étroitement aux Dawson's qu'elle ne l'aurait cru en quittant Bali. Un ex. Une petite sœur. Manquerait plus qu'elle apprenne que le père Dawson avait eu une liaison avec sa mère, et on pouvait écrire une vraie telenovela. Bon, sur ce dernier point aucune chance. Jamais le père Dawson ne se serait retourné sur quelqu'un comme sa mère. Il n'aurait sûrement même pas voulu respirer le même air qu'elle, de peur que ses galères et ses addictions ne soient contagieuse.

Alexis ne savait rien de tout ça cependant. A vrai dire, il ne savait pas grand chose de plus que ce qui était dans son carnet, et si Sasha était celle qui lui avait donné ces informations, rien d'étonnant à ce que Mae n'y figure pas. Elle avait été celle pour qui Alexis avait un temps songé foutre en l'air les projets de leurs familles, après tout. Ella-Mae n'avait pas été vue en ville depuis si longtemps, elle avait aussi pu se dire que ce n'était pas essentiel. A quoi bon encombrer son esprit avec quelqu'un qu'il avait peu de chances de croiser ? En parlant de sa femme, Alexis l’avait d’ailleurs amenée dans la conversation, avouant qu’il n’aurait même pas reconnu sa propre femme s’il l’avait croisée, avant de se demander si les deux jeunes femmes se connaissaient. Une vie avant elle, c’est pas les mots que j’emploierais. Mais l’épouser n’a pas toujours été dans tes plans, malgré les projets de ton père. Sasha lui avait-elle expliqué les circonstances de leurs fiançailles ? Ella-Mae l’ignorait, et dans tous les cas, ce n’était pas à elle de le faire. Il serait toutefois mentir de dire qu’Alexis avait toujours été enchanté par cette perspective, Mae était bien placée pour le savoir. Oui, bien sûr. Ella-Mae Stuart, si jamais tu veux noter mon nom complet, mais tout le monde m’appelle Mae, précisa-t-elle. Parfois, certains utilisaient son prénom complet, ou s’acharnaient à l’appeler Ella. Au moins, il saurait qui elle était, comme ça. Une fois ses notes prises, Alexis lui lança un petit avertissement sur l’un des médecins, et Mae rit légèrement. J’ai eu de la chance alors, je suis tombée sur le Docteur Williams. Fallait que je fasse vérifier ce bazar, répondit-elle, soulevant légèrement son t-shirt pour montrer une partie des bandages qui se cachaient sous ses vêtements. Petit accident de surf, j’ai eu une rencontre pas très délicate avec les coraux à Bali. Rien de trop grave en théorie, même si elle s’en sortirait sûrement avec une jolie frayeur, et de belles cicatrices. Ca ne faisait pas du bien, et elle était pas mal amochée, mais le plus gros risque restait une potentielle infection, elle préférait garder ça à l'oeil.

D’ailleurs, l’océan, dans mes souvenirs t’es pas super fan. L’eau est trop froide, dit-elle, d’une voix gentiment moqueuse. Parce que oui, elle s’était moquée de lui à l’époque, quand elle se jetait à corps perdu avec sa planche dans les vagues, et que lui restait bien en sécurité sur le sable. T’aimes pas les oiseaux non plus. Tu devrais noter ça, c’est important. Je voudrais pas que tu nous fasses une syncope en croisant une mouette sur le parking. Elle ne se moquait pas de sa phobie, évidemment. Mais elle plaisantait quand même. Elle ignorait comment fonctionnait l’amnésie et s’il se rappelait de ce genre de détails, mais  se disant que c’était des choses auxquelles il n’avait pas été confronté dans l’hôpital, ça pouvait être bon à savoir,

Ca devait être tellement étrange, de se réveiller un jour sans le moindre souvenir de qui on était. De qui on aimait. De ce qu’on avait bien pu faire de sa vie, et de ce qui nous avait amené à cet instant, l’esprit vide de tous souvenirs. Ella-Mae ne pouvait qu’imaginer. Casse-cou qu’elle était, elle avait bien fait quelques cascades, dont la plus récente l’avait amenée à avoir cette blessure qu’elle avait montrée à Alexis, cachée sous ses pansements, mais jamais rien qui la mène jusque là. Une toile vierge. Elle aurait été bien embêtée si ça lui était arrivé, d’ailleurs, toujours en vadrouille à l’autre bout du monde, dans des lieux où elle ne connaissait littéralement personne. Au moins, Alexis avait ses proches pour boucher les trous. Il avait même Mae, qui lui avait rappelé quelques petites choses. Rien de majeur, de simples petites anecdotes. Son désamour pour la plage et sa phobie des oiseaux. Rien qui ne lui changerait la vie. Assez, toutefois, pour semer le doute dans l’esprit du jeune homme. Elle avait prétendu n’être qu’une connaissance du lycée et voilà qu’elle était là, à lui raconter des choses que quelqu’un que vous croisiez seulement au détour d’un couloir ne pourrait pas savoir. Aucun projet qu’aurait approuvé ton père. Tu voulais être vétérinaire, à une époque. Probablement pas un véto spécialisé dans les oiseaux, cela-dit, répondit-elle à sa question, ajoutant une petite plaisanterie au passage. Elle se garda bien de lui dire qu’à une époque, il avait songé quitter la ville, et voler de ses propres ailes… avec elle. Ils avaient été à deux doigts de le faire.

Dans une autre vie, peut être que c’était avec lui qu’elle aurait visité Bali. Ils n’avaient pas d’autre plan que celui de partir, alors qui sait où ça les aurait menés ? Ses escapades semblaient titiller la curiosité du jeune homme. Quelques uns, oui. Ca fait… Huit ans, à peu près, que je voyage quasi non-stop. Je pose mes valises à un endroit et quand j’en ai marre, je change, expliqua-t-elle avec un léger haussement d’épaules. Mae appréciait sa vie de nomade. Toujours changeante, rien de permanent, jamais d’attaches, pas de racines. La solitude pesait, parfois, mais ses nombreuses rencontres et aventures compensaient le manque de relations durables dans sa vie. De toute façon, les gens avec qui elle avait tissé de véritables liens avaient tous fini par la décevoir et lui briser le coeur, y compris Alexis, qui lui demandait d’ailleurs comment elle pouvait bien savoir tout ça sur son compte. Je te l’ai dit, on se connaissait au lycée. Pourquoi ne pas lui dire ? Elle n’en voyait pas l’intérêt. C’était loin aujourd’hui. Ca faisait toujours mal d’y repenser, certes, mais il était trop tard pour y changer quoi que ce soit. il avait fait son choix, et elle avait appris à vivre avec. Avec son choix, et sans lui. Aborder le sujet ne ferait que réveiller de vieilles rancoeurs, et s’il ne se souvenait de rien… elle ne serait pas beaucoup plus avancée.

Mae devait avouer une chose : elle était assez rancunière et il y avait certaines choses qu’elle avait bien du mal à laisser couler. Bien des années plus tard, il était bien compliqué pour elle de ne pas ressentir un peu de rancoeur et d’amertume en se rappelant de la manière dont les choses s’étaient terminées avec Alexis.Ressasser le passé avec quelqu’un qui ne s’en souvenait pas n’avait toutefois pas grand intérêt. Il lui avait brisé le coeur, et comme à chaque fois que ça lui était arrivé, elle s’était endurcie, elle n’avait pas vraiment eu le choix. Malgré tout, si elle oubliait la fin, elle ne pouvait nier qu’ils avaient eu une belle histoire. Elle avait eu la chance de connaître une version du jeune homme qu’il ne montrait pas à grand monde, à l’époque - et certainement pas à ses parents. J’ai pas eu l’honneur de vraiment le connaître, on ne vient pas vraiment du même monde, si tu vois ce que je veux dire… Autrement dit, le compte en banque de la famille Stuart avait un paquet de zéro en moins au compteur que celui des Dawson, mais j’en ai entendu assez pour savoir que j’ai pas manqué grand chose. Tout ce temps, ils s’étaient vu dans le dos de ses parents, comme des Roméo et Juliette des temps modernes - heureusement, leur fin avait été moins tragique. ils étaient seulement deux gamins rêveurs et amoureux, s’imaginant un futur tous les deux, brutalement rattrapés par la réalité. Mae avait toujours su que ça finirait ainsi, dans le fond. Elle refusait juste de le voir, préférant leurs plans d’évasion et de voyages. Voyages qu’elle avait fait seule, finalement. Un peu les deux, répondit-elle avec un haussement d’épaules lorsqu’il  la questionna sur ses voyages. Ca dépend de mon humeur, de mes finances, de si j’ai envie d’aller surfer, ou randonner, d’être en ville ou au milieu de nulle part... Envie de bouger et pas un rond en poche ? Auto-stop. Envie d’un peu de solitude ? Randonnée. Elle aimait cette liberté, même s’il arrivait parfois que la solitude vienne la gagner.

Curieux, Alexis semblait l’être autant de ses voyages que de celui qu’il avait été, puisqu’il la questionna sur le lycée. Comment était-il ? Mae adolescente aurait bien trouvé toute une liste d’éloges, mais la Mae adulte était devenue un peu plus pragmatique. T’étais… Bon élève, déjà. Ca évitait que son père te casse trop les pieds, même si à l’époque, t’avais pas vraiment envie de faire ce qu’il voulait. Plutôt populaire aussi, t’avais notamment pas mal de succès auprès de la gent féminine, même si au final, il n’y avait pas grand monde qui te connaissait vraiment, au-delà de la façade du fils de bonne famille. Tu adorais tes frères et soeurs, aussi, t’aurais fait n’importe quoi pour eux. Si elle n’avait pas eu l’honneur de rencontrer ses parents, qui n’auraient jamais approuvé, elle avait au moins rencontré ses frères et soeurs, et elle pouvait donc attester de l’amour qu’il avait pour eux, et qu’ils lui portaient eux aussi.

Mine de rien, cette conversation commençait à durer, et Alexis sembla s’en rendre compte. Ca faisait un petit moment qu’ils étaient debout là, au milieu du couloir de l’hôpital, à discuter. Pas vraiment, non, hormis trouver un endroit où aller déjeuner et rentrer à l'hôtel, répondit-elle en toute honnêteté. En temps normal, elle aurait sûrement fini par aller surfer, mais le médecin le lui avait déconseillé pour le moment. Toi par contre, t’es peut être attendu, fit-elle remarquer, en désignant le sac qu’il tenait à la main. S’il quittait tout juste l’hôpital, il avait sûrement plus hâte de rentrer chez lui que de discuter avec quelqu’un qui n’était même pas fichu de lui dire exactement qui elle avait été pour lui.  

Au bout du compte, Alexis et Mae avaient tous les deux eu des parents loin d’être parfaits, aussi différents soient-ils. La mère de Mae avait pensé davantage à ses bouteilles et autres substances qu’à sa fille. Le père Dawson faisait passer ses affaires, son empire, sa réputation avant le bien-être de ses enfants. Des problèmes différents, aux conséquences différentes. Alexis avait fini par céder, les raisons pour lesquelles il l’avait fait lui appartenait. Mae, elle, avait fuit. Fait sa vie, ailleurs, parce que sa vie ici à Melbourne lui avait causé trop de peine, toute son enfance et son adolescence. Elle ignorait ce qu’était devenu Alexis après leur rupture, et encore plus après son départ de Melbourne. Elle n’avait jamais regardé en arrière. J’ai pas beaucoup de bons souvenirs dans cette ville, alors non, j’avais pas grand chose pour me retenir. Mais peut-être que si, maintenant. Je ne sais pas encore. Ca dépendait de Zola. Si elle ne voulait pas lui faire une place dans sa vie, alors Mae devrait l’accepter. Elle ne pouvait pas s’imposer, elle refusait de le faire. La décision devait venir d’elle et de personne d’autre, et quoi qu’elle choisisse, Mae la respecterait. Tout comme elle respectait le fait que si Alexis devait apprendre leur lien de parenté, ça n’était pas à elle de le décider.

Alexis semblait surpris de ses révélations sur sa vie d’adolescent. Il le lui avoua, même, s’étonnant d’avoir été un jour un bon élève, ou d’avoir pu chercher l’approbation de ses parents - quelque chose de normal, selon lui. Je saurais pas te dire. Ma mère… Disons que je n’étais pas sa priorité non plus, avoua-t-elle. Mais des parents satisfaits de tes notes, ça voulait dire qu’ils te fichaient un peu la paix. C’était un moyen comme un autre d’attirer un peu moins l’attention, et pendant ce temps-là, ils ne s’inquiétaient pas de ses fréquentations - ou au fait qu’il fréquentait quelqu’un comme Mae, un déshonneur pour la famille. Je les ai connues un peu, mais ça fait longtemps, j’ai pas eu le plaisir de connaître Kiara. Ne souhaitant pas révéler des choses que Zola préférerait peut être garder pour elle, Mae préféra jouer la carte de l’ignorance. Et puis, ce n’était pas un mensonge, elle ne connaissait pas Kiara. Elle était partie bien avant qu’elle ne pointe le bout de son nez. Au moins tu te rappelles de quelque chose, ça prouve qu’il reste encore des choses là-haut, plaisanta-t-elle, pointant son index sur sa propre tempe avec un air amusé.

Enfin, c’était bien joli tout ça, mais ils étaient toujours plantés au milieu d’un couloir de l’hôpital, alors qu’elle n’avait plus rien à y faire et à en juger par son sac bien plein, lui non plus. L’estomac de Mae commençait à crier famine. Crois-moi, c’était vraiment pas dans mes plans, répondit-elle, lâchant un rire presque enfantin alors qu’il lui déconseillait la cafétéria de l’hôpital. Y avait-il un hôpital au monde avec de la nourriture digne de ce nom ? Si oui, elle n’avait sûrement pas les moyens de s’y faire soigner. Je peux te déposer si tu veux ? J’ai une voiture de location sur le parking. Une voiture de location, une chambre d’hôtel, une planche de surf et une valise. Rien de très permanent, encore une fois. Je me trouverais bien de quoi manger en chemin. Melbourne était une ville assez grande pour espérer y croiser un drive-through en chemin. Ou quoi que ce soit d’autre, Mae n’était pas difficile.

Pendant la majeure partie de son enfance, la plus fidèle compagne de Mae avait été la solitude. Parfois volontaire, parfois subie. Il y avait quelque chose de terrible dans le fait de se sentir seule lorsqu’on est entouré de monde. Ca n’avait pas toujours été le cas, fort heureusement, elle avait quelques amis sur qui compter, elle avait eu Alexis, aussi, mais ce n’était finalement qu’en quittant Melbourne qu’elle avait réussi à s’en débarrasser, et qu’elle s’était enfin sentie libre. C’était triste, peut-être, d’en arriver à devoir tout quitter pour enfin avoir la sensation de respirer et de profiter de sa vie, mais à l’époque, c’était la meilleure chose qu’elle aurait pu faire. Pour la première fois, elle pouvait penser à elle. Juste à elle.

Aujourd’hui toutefois, elle avait peut être quelqu’un d’autre à qui penser. C’était loin d’être une corvée, ces retrouvailles elle en avait rêvé, même si elle aurait préféré qu’elles arrivent en d’autres circonstances. Ca ne dépendait toutefois pas entièrement d’elle. Il y a quelque chose oui. On verra bien comment ça tourne, dit-elle avec un haussement d’épaules faussement désinvolte. Elle ne pouvait pas en dire plus. Zola était sa soeur, et si elle voulait qu’Alexis le sache, alors ce serait à elle de prendre cette décision. Mae tenait à lui laisser les commandes. C’était sa vie à elle qui se voyait le plus chamboulée par cette situation, après tout, et Mae tenait à tout faire pour ne pas ruiner ces retrouvailles dont elle avait tant rêvé. Elles n’avaient pas pu grandir ensemble, et son abandon lui avait brisé le coeur, Mae tenait plus que tout à ce que les choses se passent bien. Zola le dirait à sa famille quand elle le voudrait, et si elle le voulait. Ses parents n’étaient peut être pas parfaits - quels parents n’étaient, vraiment, comme Alexis le fit si bien remarquer - mais ils restaient ceux qui l’avaient élevée.

Mae avait beau faire quelques cachotteries, elle tira malgré tout quelques informations de cette petite conversation. Des informations sur la petite Kiara, notamment. Elle ne la connaissait pas, mais elle avait fait sa curieuse sur les réseaux sociaux depuis qu’elle avait appris que Zola était sa soeur. Une soeur, et une nièce. De bonnes raisons de rester en ville, pour cette solitaire qui avait toujours rêvé d’une famille, n’est-ce pas ? J’ai vu quelques photos, ça a l’air d’être une gamine adorable oui. Alexis cherchait visiblement toujours quelques infos sur la relation qu’ils avaient eu. Connaissait-elle Zola ? Kiara ? Quels liens les unissaient tous, qu’il s’agisse de lui et Mae, ou de Mae et sa soeur ? Tant de mystères sur lesquels la blonde n’était définitivement pas décidée à s’épancher. Et après lui avoir proposé de le déposer, elle ne s’épancha pas davantage dans la voiture, alors qu’elle laissait le GPS de son téléphone les guider vers le logement d’Alexis. Une conversation simple, rien de très profond ou de trop personnel. C’était un travail d’équilibriste, vraiment, car le simple fait de lui parler d’un lieu auprès duquel ils passaient en chemin pourrait les entraîner sur une pente glissante. Elle devait s’avouer un peu soulager quand finalement ils arrivèrent à destination. Jouer les cachottières, ce n’était pas vraiment ce qu’elle préférait faire de ses journées. Elle aurait pu tout lui dire, honnêtement, qu’est-ce que ça changeait qu’il sache qu’ils étaient sortis ensemble ? Mais elle n’en voyait pas l’intérêt. Il était marié. Ils avaient grandi, tous les deux, étaient passés à autre chose. A quoi bon ? Elle l’avait donc laissé rentrer chez lui, retrouver cette maison qu’il partageait avec celle qui était à présent sa femme, avant de reprendre sa route. Elle ne pouvait pas surfer pour le moment, mais ça ne l’empêchait pas d’aller à la plage, n’est-ce pas ? Parce que c’était toujours là qu’elle allait, quand trop de choses se bousculaient dans sa tête. A une époque, il le savait. Il l’y retrouvait, sans même qu’elle l’ait convié mais tout ça, c’était loin à présent.