« Rappelez-moi pourquoi je dois passer par un processus d'évaluation psychologique pour avant de voir ma fille ? »



Ma question sifflée d'une voix glaciale et presque menaçante termina de ruiner l'ambiance déjà lourde qui régnait dans le bureau du psychiatre en charge de la rencontre. D'ailleurs, je pouvais voir un long filet de sueur commencer à perler sur le front dégarni du supposé professionnel de la psyché humaine alors qu'il tentait de se redonner contenance en nettoyant les verres de ses lunettes. Je devais avouer qu'il m'arrivait de paraitre austère lors de mes bons jours, alors je vous laisse imaginer ce à quoi je ressemblais lorsqu'une violente envie de meurtre prenait possession de mon être. Installé sur une espèce de fauteuil ovale en cuir de piètre qualité, mes doigts serraient si fort le textile que mes jointures blanchissaient à vue d'œil. Rares étaient les gens capables de me sortir de mon mutisme usuel à ce point et malheureusement pour moi, Astrid Dimitrov en faisait partie. Cette femme fourbe qui était parvenue à me duper quelques années plus tôt continuait à me mettre des bâtons dans les roues, malgré le divorce et les tortures qui avaient failli me tuer lorsque j'avais été fait prisonnier par sa faute. Juste penser à cette morue perfide et démoniaque me donnait des envies de meurtres et à voir le visage de plus en plus verdâtre du sexagénaire qui m'observait avec crainte, les irradiations de fureur qui sortaient de ma personne devait franchement être palpable. Il fallait dire que je manquais une journée de travail pour me retrouver dans ce bureau et que je répugnais de laisser Angeline seule, sans protection. Bien sûr, je lui avais laissé Jack, mais mon fidèle allié canin n'était pas à l'épreuve des balles, bien qu'il pouvait se révéler être un ennemi redoutable.



« C-c-comme j'essayais de v-v-v-v-vous l'exp-p-p-pliquer, v-v-v-otre temp-p-p-érament violent ef-f-f-fraie la mère de votre f-f-f-f-ille.. » Commença à dire le psychiatre, incapable de reprendre contenance.



Pour le coup, son bégaiement effrayé ruinait parfaitement sa crédibilité et son autorité, mais c'était le cadet de mes soucis en ce moment. Je n'arrivais pas à croire que cette connasse avait déposé une plainte contre moi à l'Office de l'enfance alors que c'était elle qui avait tenté de me faire la peau, lors de notre dernière rencontre. Mon omoplate gauche se souvenait encore du coup de poignard qu'elle m'avait infligé devant notre fille et même s'il était vrai que je l'avais étranglé jusqu'à ce qu'elle perde conscience, j'avais eu le bon sens de la laisser en vie ! Astrid cherchait à me retirer la garde de notre fille depuis notre divorce et n'avait jamais été aussi près de parvenir à ses fins. Seulement, il ne serait jamais dit que Dalton O'Connor abandonnait sans se battre et il était hors de question que je la laisse me retirer ma fille ! Si j'étais parvenu à survivre à la violence de mon propre père alors que je n'avais que six ans, je parviendrais à la faire taire. Pour le moment, je n'avais jamais sérieusement envisagé la possibilité de la tuer puisqu'elle restait tout de même la mère de Gabrielle, mais s'il le fallait…je n'hésiterais pas un instant. Entre Gabrielle et elle, le choix était facile à faire. « …si je ne m'abuse, le rapport de la police mentionne la tentative de meurtre contre ma personne dont elle a été l'investigatrice. De plus, je suis évalué par les psychiatres qui sont aux services de l'armée américaine à tous les sept mois comme tous les vétérans qui partagent le même parcours que le mien. Je peux parfaitement devenir dangereux pour vous montrer la différence, si vous le souhaitez » Susurrais-je d'une voix agressive, éventrant les appuie-bras du fauteuil tout en fixant mon regard sombre sur mon interlocuteur. À voir le Dr. Cohen déglutir avec difficulté, on devinait facilement qu'il regrettait d'avoir accepté cette évaluation. À tous les coups, il avait deviné qu'il disparaitrait s'il venait qu'à écrire un dossier négatif à mon sujet. Je n'avais pas besoin de le lui dire, tout était parfaitement limpide dans mon regard de prédateur.


J'avais passé la plus grande majorité de ma vie à parcourir le monde à la demande de mes chefs, réalisant des missions secrètes pour l'armée américaine, tuant des ennemis de l'état et empêchant plusieurs attentats contre la nation. La violence, la mort, le sang et le néant composaient mon passé, mon présent et mon futur. Je devais certainement ma survie à ce commando qui m'avait donné un but dans la vie et une chance de faire quelque chose d'utile de mon intelligence. Ils m'avaient éduqué alors que j'étais un rebelle à moitié sauvage et m'avait donné une raison de vivre. Jusqu'à ma mort, je resterais un Delta Noir, ils le savaient tout autant que moi.



‘'Justement, j'ai demandé une copie de votre dossier médical et il semblerait que vous n'existiez nulle part'' Trouva le courage de me rétorquer le petit et bedonnant homme médical tout en regardant ses mains qu'il trifouillait encore et encore.



Un sourire satisfait et narquois se dessina sur mes lèvres alors que je soupirais d'aise. Évidemment que mon dossier était inaccessible et même inexistant ; Dalton O'Connor n'avait jamais existé avant ma retraite puisque l'armée avait effacé toute trace de mon existence, de ma naissance à ce jour fatidique où j'ai quitté le Delta Noir. Au sein de mon escadron, j'étais connu sous le nom de Sultan et je ne me rappelais même plus moi-même de comment ma propre mère m'avait prénommé à ma naissance. « Je suppose que vous êtes familier avec les termes d'immunité diplomatique ? Oui ? Bien…maintenant donnez-moi le satané papier qui autorise ma présence auprès de ma fille et tout se passera bien » Répondis-je affablement, laissant un voile de mystère planer sur ce qui se passerait s'il me refusait cette permission. Astrid était une très mauvaise mère, il était hors de question que je la laisse pourrir l'âme de notre fillette de sept ans ! Cette enfant était l'une des deux personnes capables d'éveiller un peu de chaleur dans mon regard et il était hors de question que je la perde…c'était impossible…inimaginable…c'était l'un des nombreux cauchemars qui torturaient mes nuits.



‘'Vous semblez p-p-p-p-ressé t-t-t-t-tout à coup..." Recommença à bégayer le psychiatre alors que je grognais de mécontentement.



Note à moi-même : la prochaine fois, je me ferais un devoir de buter le spécimen destiné à m'interroger et je falsifierais les attestations comme je l'avais souvent fait dans le passé. Me levant de mon fauteuil afin de lisser les manches de mon vestons noir, j'ai jeté un regard à mon interlocuteur et j'ai simplement dit : « Une magnifique jeune femme m'attend et vous vous demandez pourquoi je ne veux pas rester en votre compagnie ? ». Tendant la main vers son carnet de notes, j'ai arraché d'un geste brusque le certificat attestant ma santé mentale parfaite et j'ai quitté le bureau sans lui jeter un regard de plus. Angeline m'attendait et il était hors de question que je la fasse attendre plus longtemps.

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