I. T’ouvres les yeux pour la première fois de la journée. T’ouvres les yeux pour la première fois de la journée. Tu sais qu’il y a un léger vent dehors parce que le mouvement des feuilles fait jouer les rayons du soleil qui entre dans la pièce comme si elles dansaient. Tu te frottes les yeux et t’étires un bon coup, à plusieurs reprises avant d’agripper ton portable et éteindre le son strident du réveil. Un nouveau message de ton père qui veut prendre de tes nouvelles. Tu souris bêtement dans ton lit parce que l’air de rien, il te manque ton père. Tu sais qu’il est fatigué, mais qu’il continuera de travailler quoiqu’il arrive, parce qu’il a toujours été comme ça après tout. Il n’a jamais roulé sur l’or, mais cela ne l’a pas empêché d’avoir des valeurs et d’être quelqu’un de respectable. Chauffeur privé d’un banquier, il n’a pas vraiment de jour ou de nuit puisqu’il doit répondre présent dès que son téléphone sonne. Alors tu le vois moins souvent que tu ne le voudrais et cela t’attriste. Tu as une pensée pour ta mère également, qui a toujours tout fait pour que tu ne manques de rien malgré tout. T’oublies vite qu’elle a travaillé longtemps pour continuer à subvenir à certains de tes besoins même si tu lui as déjà dit que tu ne voulais pas de son argent. Il n’a jamais roulé sur l’or, mais cela ne l’a pas empêché d’avoir des valeurs et d’être quelqu’un de respectable. Pourtant, ils t’ont offert une enfance remplie d’amour, bienveillance et une éducation digne de ce nom pour que tu sois quelqu’un de bien à ton tour. Tu es consciente de tout cela et jamais tu ne remercieras assez tes parents pour tout ce qu’ils t’ont apporté jusqu’à aujourd’hui, et ce qu’il continue de t’apporter. Tu ne peux t’empêcher quand même de renier l’évidence et de rejeter ta condition sociale : tu viens d’une famille très modeste.

II. D’un autre côté, si tu n’avais pas cette condition, peut-être que tu n’aurais pas rencontré les personnes qui font parties de tes proches aujourd’hui. Si ta mère n’était pas devenue la nourrice puis cuisinière des Camões alors que tu n’avais qu’une année, jamais tu n’aurais fait la rencontre de Rosa, celle que tu considères comme ta meilleure amie ou plus encore, comme une sœur. Elle ne t’a jamais exclue, jamais donner la sensation que vous étiez différentes de part l’aspect financier. T’as grandi à ses côtés comme si c’était une évidence, comme si vous étiez déjà une famille depuis le départ. Tu peux pas non plus t’empêcher de te dire que tu avais eu beaucoup de chance, que tu avais pu avoir plus ou moins ce que tu voulais pour ton avenir. Après tout, Rosalina était quand même la fille d’une famille riche. Tu sais que tu ne l’apprécies pas pour son argent, mais pour bien d’autres raisons, mais tu ne peux pas nier que ça t’arrangeais quand même quelque part. Au-delà du côté monétaire, tu sais que tu peux compter sur Rosa, peu importe la situation, que ce soit de jour ou de nuit. Tout comme l’inverse est aussi vrai. Elle est un soutien irremplaçable dans ta vie et tu ne peux pas passer une seule journée sans la voir ou lui parler, parce qu’elle t’est nécessaire au quotidien. Jamais tu ne t’étais sentie aussi proche de quelqu’un, à part ta mère. Elle ne t’a jamais jugé, même quand tu te posais énormément de question durant ton adolescence. Au contraire, elle t’a soutenu et aidé à te retrouver parmi toutes ces interrogations qui n’ont pas toutes trouvé de réponse. Parce que tu savais pas, à cette époque, qui tu étais réellement, ce à quoi tu aspirais et qui tu étais susceptible d’aimer. Tu ne pouvais pas être insensible au doux parfum que portait ton voisin de table au lycée et à son sourire timide. Tu ne pouvais pas non plus calmer ce feu ardent que tu ressentais tout au fond de toi quand tu croisais le regard de ta partenaire de volley-ball en cours de sport. T’étais perdue, tu savais pas où donner de la tête, ni comment gérer la chose. C’est pour ça que Rosa, elle t’a été d’une très grande aide. Elle ne t’a jamais critiquée sur tes choix de vie ou de partenaires. Parce qu’il a fallu que tu saches qui tu étais. Tu voulais à tout prix te débarrasser de cette frustration de ne pas savoir parce que tu te mettais la pression toute seule, comme s’il était urgent que tu choisisses entre les hommes ou les femmes. Puis Rosa s’est approchée de toi et t’a prise dans ses bras avant de te dire d’être juste toi-même et qu’elle t’aime comme tu es. À partir de ce moment-là, c’était devenu une évidence : tu voulais aimer des personnes comme Rosa, qui étaient bienveillantes, compréhensives et respectueuses. Ce qui était important finalement, ce n’était pas d’aimer un homme, une femme ou les deux. C’était d’aimer la personne avant tout. T’as décidé d’aimer d’abord la personnalité et les valeurs d’une personne avant de te focaliser sur son sexe. Depuis que tu te dis ça, tout est devenu plus clair et plus jamais tu ne t’es posé la question.

III. Quand tu as décidé d’être toi-même et de ne plus te prendre la tête, tu as fait tout ce dont tu avais envie sans craindre le regard des autres. Quand tu as décidé d’être toi-même et de ne plus te prendre la tête, tu as fait tout ce dont tu avais envie sans craindre le regard des autres. Tu étais une artiste dans l’âme et ta nature curieuse te donnait envie de toucher à d’avantage de choses. Toujours plus. Tu te mets à faire même un peu de musique, en postant parfois tes covers sur Youtube, mais toujours timidement au départ. Tu continues d’écrire, même tes propres compositions, tes propres histoires. Au fil du temps, tu comprends que tu adores ça et que tu voudrais pouvoir faire cela pour le reste de ta vie. Alors tu t’es dit « pourquoi pas ? ». Tu sais que tu adores fouiner partout, que tu adores avoir le dernier mot par moment et que chercher la vérité est un de tes atouts. Alors tu comprends durant ton avant-dernière année de lycée que tu veux être une brillante journaliste et que tu allais faire de ton mieux pour y arriver. Tu sais que c’est exactement le métier qui te correspond et que tu vas exceller dans ce domaine. Tu développes petit à petit une passion pour la photographie aussi, ce qui te conforte d’avantage dans l’idée que t’as choisi la bonne voie. C’est sans hésitation que tu décides de continuer tes études à l’école de journalisme après avoir obtenu ton diplôme. Puis, tu te débrouilles plutôt bien l’air de rien. T’es pas l’étudiante la plus studieuse, tu as même tendance à traîner des pieds longtemps avant de te mettre au travail. Mais une fois que tu es concentrée, tu es brillante et efficace. Ta mémoire photographique y est pour beaucoup, il faut le dire. Tu arrives à emmagasiner toujours plus d’information, ce qui te permets quand même d’user de ton talent pour montrer que tu es capable d’être une journaliste compétente.


IV. T’avances le long du hall d’entrée en faisant claquer tes talons. Une longue robe rouge épouse les formes de ton corps et enflamme la pièce. T’accompagnes Rosa à l’une de ses soirées parce que ses amis sont devenus les tiens, et vice-versa. Tu côtoies souvent des « fils et filles de » et la plupart est persuadé que tu fais partie de leur monde parce que tu veux bien leur faire croire que c’est le cas. À force de profiter des avantages de ton amitié avec Rosa, t’as l’impression parfois que même toi tu y crois vraiment, alors que la réalité à vite fait de te rattraper. Parce que ce soir-là, t’as croisé son regard. Il était face à toi, un verre dans la main, à discuter avec d’autres filles. Tu ne connaissais même pas encore son prénom que t’avais déjà envie d’arracher la tête de ces nanas. Et puis, il y a eu ce moment où il a posé le regard sur la rousse en robe rouge. Il a plongé ses yeux dans les tiens, et c’était comme si le monde s’était arrêté l’espace de quelques secondes. T’avais l’impression d’être à nouveau cette petite fille timide que tu étais plus jeune, comme si tu venais de perdre toute ton assurance et ta confiance en toi. Au fil de la soirée, tu enchaînais les verres les uns après les autres, toujours en jetant des petits regards dans la direction de l’inconnu. Tu tiens bien l’alcool après tout, ça devrait le faire. Du moins, c’était ce que tu pensais. Tu te sens un peu mal, alors tu te dis que tu devrais sortir prendre l’air sur le grand balcon. L’air est doux, le ciel est rempli d’étoile. On aurait pu croire que tu étais dans un film tellement la vue était belle. T’as la tête qui tourne légèrement, mais tu sais que tu vas vite t’en remettre parce que t’es pas du genre à finir bourrée rapidement. Puis t’entends une voix qui s’approche de toi et en te retournant, tu recroises ce regard qui t’électrises sur place. T’es tétanisée tellement, tu ne sais pas quoi faire… Jusqu’à ce qu’il te sourit. Ton monde explose en éclat à ce moment, comme si c’était une évidence. Il te tend un verre et tu l’acceptes sans le quitter des yeux. Tu effleures involontairement sa main et ton cœur rate un battement. Tu passes le reste de ta soirée avec lui sur ce balcon, à discuter comme si vous étiez des vieux amis qui ne s’étaient pas vu depuis longtemps. À la fin de la soirée, tes talons hors de prix en main, tu titubes en tentant de garder l’équilibre. T’as passé ta soirée à rire et boire en sa présence jusqu’à ce que tu ne puisses plus rien avaler. Tu n’as plus toutes tes idées en place et ton cœur ne cesse de battre la chamade parce qu’il te tient la main pour éviter que tu ne tombes. Il a tellement insisté pour te raccompagner que tu n’as pas pensé à le faire changer d’avis. Tu ne lui as rien dit sur ta condition, alors peut être qu’il devait penser que tu habitais un manoir et que ta gouvernante attendait que tu rentres pour te coucher. Mais tu es bien trop dans l’euphorie de l’alcool qui coule à flots dans tes veines pour t’en rendre compte. Alors tu marches, encore, encore et encore, toujours en sentant la chaleur de la paume de sa main jusqu’à ce que t’arrives devant la maison de Rosa, parce qu’après tout, c’est là que t’habites. Tu ne le sauras pas sur le moment, mais il avait déjà tout compris. Il savait que tu n’étais pas une gosse de riche et il s’en foutait éperdument. Il avait jamais parlé autant avec quelqu’un d’aussi authentique est vrai, sans artifices ou superficialité. Tu étais maladroite et pas compliquée et c’est ce qu’il aimait le plus chez toi. Depuis ce jour, vous n’arrêtez pas de vous zyeuter quand vous êtes dans la même pièce, à vous chercher du regard quand vous riez et à discuter pendant des heures comme si c’était évident. Mais tu sais aussi que ça ne l’empêche pas de parler avec d’autres filles, parce qu’après tout, il a besoin de garder une certaine réputation. Il ne peut pas s’afficher avec la fille d’employée d’une de ses amies non ? Pourtant, jamais personne ne lui apportera ce que tu lui apportes. Tu sais que tu l’aimes, mais que jamais tu ne pourras le lui avouer ou même le crier au monde entier parce que tu n’as pas de voiture à ton service, pas de carte bleue à faire chauffer autant que tu le voudrais – même si Rosa la toujours gâtée – et pas de succession parentale prestigieuse à acquérir. Tu n’as rien à lui offrir d’autre que ta personne. Et t’as vite compris que ça ne lui suffirait pas. Alors t’espères juste que la douleur s’apaisera avec le temps et que tu pourras passer à autre chose rapidement pour qu’il puisse arrêter de te manquer autant.