Une nuit d'avril 2018 - McDonald's MANDURAH Greenfields
Je ne sais pourquoi, alors que je n'ai rien à perdre, je veux agir. Jamais je n'ai voulu être pris en pitié, alors jamais je n'ai voulu passer pour une victime. Au mieux le coupable de quelque chose, peu importe ce que ce soit. Nous devons n'être que quelques clients à cette heure-là, à s'être arrêtés au fast-food pour prendre un repas rapide avant de retrouver son lit pour une nuit bien reposante à souhait. Les jours de travail ont été longs et la fatigue s'est clairement accumulée au point de m'empêcher de réfléchir sur les foulées qui me séparent de voiture que je récupère pour faire le bout de route restant jusque chez moi. Le larbin qui a crocheté ma portière avant, pour se servir à l'intérieur sans aucune gêne, pensait que je mettrais plus de temps à avaler mon menu Medium avec mon diet coke à la main que je n'avais pas terminé de siffler jusqu'au bout. Il est trop préoccupé à s'intéresser aux pochettes CD qui traînent dans ma boîte à gants que pour m'avoir entendu revenir, et aperçoit tardivement que j'ai un pistolet pointé dans sa direction ; arme que je me suis achetée et qui n'a pour l'instant servi qu'à trouer des conserves sur des rondins de bois. Sa surprise égale ma détermination à l'effrayer. Je défais tranquillement le cran de sûreté et baisse le canon pour ne faire que l'apeurer. Sa crainte le pousse à se recroqueviller à terre au moment où le coup part. Très mauvaise idée puisque ce n'était censé être qu'une sommation pour qu'il déguerpisse. Au lieu de cela, le métal incandescent lui brûle la peau en traversant l'abdomen de part en part. Ne perdant pas mon détachement naturel, je deviens nerveux à cause de ses palpitations plus inquiétantes et l'agonie de cet homme de mon âge - si ce n'est même plus jeune.

Un peu plus tard dans cette nuit d'avril 2018 - PERTH
Je n'avais qu'elle vers qui me tourner et à qui raconter absolument tout. Elle a répondu à mon texto, c'est donc qu'elle ne dormait pas encore. J'ai stationné ma voiture à une rue de là où elle habite et suis arrivé à la fenêtre de sa chambre à pied. Le calme inspirait beaucoup de choses après le déchirement qui s'est produit il y a quarante minutes plus au sud. Je brise le calme en heurtant le verre pour m'annoncer. Un faisceau de lumière navigue dans la pièce puis pointe à travers le rideau qui s'écarte. Tammi m'ouvre ; je me laisse occuper son espace sans dire un mot de plus que « Si je pars ce soir, tu m'accompagnes ? » Qu'elle me réponde par l'affirmative était tout ce qui m'importe, sans quoi je ne sais pas ce que l'avenir me réservera d'autre que la prison à vie. L'heure ne met pas les meilleures chances de mon côté, d'autant que Tammi me pose des questions pour être certaine de comprendre ma demande. Je ne ressens pas la force nécessaire de lui expliquer à chaud que je viens de tuer, alors je réédite ma proposition. Elle hésite, veut savoir pour où mais je n'en ai aucune idée. Brisbane ? Cairns ? Melbourne ? En tout cas, très loin d'ici ! Elle a besoin de temps pour répondre à un truc pareil, mais je ne lui en donne que trop peu. C'est maintenant ou jamais. Je sais que mon intrusion soudaine et mon espèce d'ultimatum est difficile à gérer pour nous deux après des années sans s'être vus et cette relation disparate dans laquelle nous étions un coup ensemble, un coup séparés, et ainsi de suite. Mais ma décision la concerne puisque je ne partirai pas seul en l'abandonnant également seule. Même si j'ai conscience que nous ne sommes pas ce que nous aurions pu envisager devenir à une époque, et qu'il fallait que je respecte son choix dans tous les cas.

Avril 2019 - Melbourne
La capitale de l'état de Victoria est devenu notre nouveau point de départ. Pas pour nous deux, mais pour chacun de nous deux. En un an de vie commune, dans le même logement, il n'y a pas eu de troisième tentative de se créer quelque chose de solide sur le long terme. Les deux premières tentatives se sont soldées par des ruptures, alors pourquoi cela changerait subitement ? Peut-être qu'elle n'a plus 17 ans et qu'il ne faut plus se repentir de la morale de cette époque-là, mais si le feeling est là, il y a des paramètres qui font ce que nous sommes restés et non pas réussis à devenir avec le temps. Nous avons nos vies séparées comme cela l'a toujours été, avec nos jobs et nos activités, avec les quelques connaissances que nous nous sommes faites en un an. Je conserve un poste de vendeur chez un glacier-pâtissier sur la zone de St Kilda, le plus long contrat depuis que nous sommes parvenus au Sud du pays. Mais au-delà du travail, il y a Tammi sans qui je ne serais rien de plus qu'une ombre qui passe dans ce monde sans chercher à exister plus que de suffisance. Sans elle, tout serait moins simple à supporter .. Et pourtant, elle ne fait pas. Tout est dans la tête, mais ce tout change la face de mes journées. Sans elle, je ne serais rien et ma vie n'aurait pour ainsi dire aucune légitimité. Alors je m'accroche à sa présence, et dans ses absences je me soucie pour elle. Parce que si elle va mal, automatiquement je ne vais pas super bien.