L’avantage d’ouvrir la salle 7 jours sur 7 et avec des horaires larges, c’était que, dans ma semaine j’avais deux jours de repos. C’est pourquoi, ce jeudi était pour moi un jour off. Comme chaque jour de repos, et encore plus depuis que j’avais appris que Lewis sortait avec cette lycéenne, je partais avant tout le monde de l’appart faire un footing d’une bonne heure et demi. J’étais ensuite rentrée me doucher et prendre mon petit déjeuner, plus fraiche pour affronter ma journée.

La relation de Lewis et Chiara me perturbait bien trop et je ne comprenais toujours pas pourquoi. Je ne supportais pas de les voir ensemble se pavaner. Au delà du fait qu’elle était encore mineure je le vivais mal alors que, une chose était sûre, je n’avais aucun sentiment amoureux pour mon ex. Pour autant, quand elle n’était pas là, ça se passait bien, notre relation allait mieux et je m’en réjouissais.

Enfin bref, dès le début d’après-midi je partis en ville pour me trouver quelques robes. J’avais reçu ma paie et avait besoin d’une ou deux nouvelles tenues. Après avoir flâné durant deux longues heures pour en ressortir avec une veste et une nouvelle paire de baskets, je me rendis compte qu’une fois de plus j’avais échoué dans ma mission : n’acheter QUE ce que j’ai besoin. J’étais incorrigible en matière de shopping, heureusement pour moi, j’avais pris l’habitude de n’emmener que de la monnaie, car bien trop souvent, ma banque n’avait pas apprécié mes nouvelles paires de chaussures.

Je finis tout de même par m’asseoir sur un banc, dépitée de voir ma faiblesse face à ces articles. Alors que je tournai la tête vers la droite, je vis une file de personnes devant un stand. J’observai d’un peu plus près… Des glaces, un stand de glace juste à côté de moi. Faisant énormément attention à mon alimentation j’hésitai un moment avant de me lever. Après tout, ce n’était pas deux boules de glace qui allait me donner des poignées d’amour.

Je me plaçai derrière les autres et du attendre quasiment cinq minutes avant de pouvoir commander.

« Bonjour, une boule vanille et une praline s’il vous plait ! » demandai-je alors au jeune vendeur.

Être vendeur de glace était quelque chose d'assez prenant à la belle saison, que ce soit le long des plages bondées ou que ce soit de manière encore plus mobile dans un van à parcourir les quartiers de la ville à la meilleure heure de la journée pour attirer les enfants et leurs parents à se désaltérer d'un arôme bien frais qui fond ou croque en bouche selon ce que l'on préfère. On pouvait tout aussi bien choisir l'alliance du doux sorbet qui glisse contre le palais avec le pétillement des petites perles sucrées sous la dent. Bien des enfants avaient un faible pour ce côté frissonnant mêlé à leur boule de glace.

Être employé comme vendeur chez un glacier qui s'est fait sa réputation grâce au bouche-à-oreille de sa clientèle, c'est encore plus prenant. Parce que c'est une activité moins éphémère que d'être indépendant, qui ne demande pas de seconde activité au cours de la période froide de l'année. Nous fermons effectivement deux mois et demi parce que notre bilan serait légèrement en négatif, mais sinon nous servons toujours malgré les températures basses parce que nous avons encore des consommateurs qui ne se privent pas de la qualité de notre enseigne qui est évaluée à 4.5 étoiles sur les différents sites de notation alimentés par les critiques des internautes. Nous sommes la glacerie la mieux cotée du Sud de Melbourne, et la troisième dans le ranking de la ville et de ses environs.

En plus de l'excellence reconnue dans les produits que nous vendons, grâce aux ingrédients locaux que nous mélangeons pour donner la parfaite saveur à ce qui se trouve sur nos cartes et menus, notre savoir-faire s'étend à la pâtisserie qui nous est livrée par un boulanger artisanal traditionnel ainsi qu'à une connaissance suffisante en boissons infusées et torréfiées pour avoir engagé un barrista derrière un comptoir dans un petit espace lounge qui fait office de salon de thé. Ce dernier aspect ne nous donne pas la prétention de faire aussi bien que plusieurs autres bars et cafés plus spécialisés, mais une partie de notre clientèle tient à nous rester fidèle et nous fait confiance pour venir s'installer autour d'une boisson chaude en empruntant l'entrée dans la rue opposée à celle où nous réalisons notre plus grand chiffre d'affaires.

Et puis notre rotation d'équipe est quelque chose. Nous sommes cinq au total et prestons en horaires tournant et décalés pour toujours être trois présents, voire quatre lors des pics d'affluence. A cause de l’exiguïté de notre espace donnant sur l'extérieur, nous ne pouvons jamais être plus que deux à servir des glaces, le troisième s'occupant de servir viennoiseries et boissons à l'intérieur ou à emporter plus souvent. En ce moment je tourne avec Keisuke qui a commencé son shift 90 minutes avant moi et qui le finira donc avec le même intervalle dans le temps. Il est occupé avec des touristes chinois dans leur langue qu'il maîtrise autant que son japonais d'origine et deux autres langues que sont l'anglais et le russe. Avec l'autre oreille j'écoute l'envie de ma prochaine clientèle dans un sourire que j'ai appris à afficher grâce à ce boulot.

Deux boules, avec la politesse qui est formulée, cela fera trois dollars. Nous avons pour principe de ne pas afficher nos tarifs et de les adapter selon que le client soit aimable ou non. Cela oscille entre $1.5 et $2 la boule. Les clients réguliers connaissent les tarifs que nous appliquons tandis que nos nouveaux clients sont vite repérés quand ils nous demandent ce qu'ils doivent. Je fais sauter un cornet de biscuit retourné sur sa pile et m'en saisis d'une main pendant que l'autre secoue la cuillère à glace dans le pichet en inox rempli à moitié d'eau. Il y a de la joie dans l'air comme cela ne m'est pas forcément si habituel. Sûrement parce que tout se passe bien avec Tammi en ce moment. « Alors une vanille pour commencer... », je répète pour que la personne m'arrête au cas où je ferais une erreur. Je presse la forme ronde extraite du bac vers l'intérieur creux du cône pour la surmonter de sa cousine. « ... Et praline », je cherche le parfum du regard avant de le repérer juste sous mes yeux. La cliente n'est pas trop proche du comptoir, alors je dois légèrement me pencher et tendre le bras pour lui donner son petit plaisir du jour avec une serviette qui l'enrobe, pliée en deux, en échange des billets.