- Qu'est-ce que … » Le téléphone satellite qui se trouvait sur ma table de nuit sonnait. J'ouvrais difficilement les yeux et l'attrapais un peu précipitamment. « Allo ? » Je répondais avec une voix rauque que je tentais d'éclaircir en toussant un peu. « Il est deux heures du matin, tout va bien ? » Mon coeur commençait à s'emballer. Ce n'était pas habituel que Terrence m'appelle à cette heure-ci. « Excuse-moi Eva. Je… je… je ne savais pas quoi faire et il fallait que je parle à quelqu'un. » Je m'asseyais dans le lit et allumais la lumière qui se trouvait sur ma table de chevet. « Je t'écoute, que se passe-t-il ? » J'entendais sa respiration hésitante au bout du fil et je m'inquiétais vraiment pour lui. « J'angoisse. » Je fronçais les sourcils. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas eu d'épisodes critiques. Je pouvais me targuer d'y être pour beaucoup, lui qui n'avait personne d'autre qui le reliait à la civilisation. « J'ai appris que je revenais à Melbourne d'ici quelques jours. » Une chose dont je n'étais pas encore au courant.

Cela faisait maintenant un an et demi que Terrence vivait dans une base en antarctique et donc un an et demi que je le suivais à distance pour être sûre qu'il ne deviendrait pas fou. C'est un milliardaire qui était entré en contact avec moi alors que je bossais comme serveuse dans un café pour me proposer d'être la psychologue d'un scientifique qu'il envoyait en antarctique. Ce Terrence Cladwell devait faire des recherches sur le réchauffement climatique, mais Monsieur Baxter, l'instigateur de tout ceci, n'avait trouvé personne d'autre qui soit assez fou pour s'y rendre. J'avais donc la charge de relier Terrence au monde civilisé tous les vendredis pendant deux heures de temps et, si Terry en avait besoin, répondre à ses appels d'urgences. J'avais donc appris à connaitre cet homme et il semblait des plus équilibrés, malgré ses quelques angoisses de se retrouver seul dans un pays plus qu'hostile. Sa connexion internet marchait une fois sur deux et il recevait des provisions par hélicoptères lorsque le temps le permettait. Il restait un homme plein d'humour et de gentillesse, avec toujours un bon mot. Je m'y étais attachée, malgré moi. Il restait un patient et en tant que psychologue, je n'avais pas le droit de ressentir une chose pareille. Nous avions déjà passé des nuits à nous raconter nos vies et même si je trouvais cela étrange au début, j'avais fini par m'y habituer. Il me disait toujours qu'il avait hâte de revenir à Melbourne et je ne comprenais donc pas pourquoi il angoissait.

- Mais je pensais que tu n'attendais que cela ? » Il y avait encore un blanc au bout du fil. « Terry ? » Je m'étais levée machinalement et je faisais les cent pas dans ma chambre. « Oui… mais ça va faire deux ans que je suis partie et que je n'ai pas vu ma famille, mes amis et puis… » Et puis quoi ? Je comprenais ce qu'il me disait, cela pouvait être effrayant de revenir alors qu'on avait le sentiment profond d'avoir changé. « Et puis j'ai peur que notre relation change… » Je laissais planer un blanc. « Eva ? » Je ne savais pas quoi répondre à cela. « J'ai peur qu'en se rencontrant les choses soient différentes… » Je comprenais tout à fait, mais il me prenait de cours et je ne savais pas quoi répondre. « Je suis ta psychologue Terry, rien ne changeras. » J'essayais de m'en persuader moi-même lorsque je disais cela. « Tu le penses vraiment ? » Non, je ne le pensais pas, je ne savais pas comment les choses se passeraient lorsque je l'aurais en face de moi, mais je devais garder la tête froide. Je ne pouvais pas me permettre de tomber amoureuse d'un patient, je possédais un cabinet et une réputation maintenant… « Écoute Terry, je ne sais pas, mais ce que je sais c'est que tu ne dois pas t'angoisser pour ton retour. C'est une chose merveilleuse, tes proches seront très heureux de pouvoir te serrer dans leurs bras. » Il fallait que je sois la plus raisonnable des deux. « Quant à nous, nous sommes amis, ça ne changera pas. » Même si mes sentiments pour lui étaient bien plus profonds. Personne ne comprenait mon attachement pour une personne que je n'avais jamais vue, pas même ma bande d'amis… « Je vais te laisser dormir dans ce cas. Bonne nuit Eva. Je… j’ai hâte… » Je me replaçais dans mon lit. « Bonne nuit Terry… » Il raccrochait, j’éteignais la lumière et tentais de me rendormir.